Le 4 mai 1789, Paris accueille les représentants des provinces désignés par la réunion des États généraux ordonnée par Louis XVI. Presque 1200 députés se réunissent et prennent part à la procession partant de Notre-Dame et terminant son chemin à l’église Saint-Louis de Versailles, épicentre du pouvoir de la monarchie française. Le lendemain, 5 mai 1789, les États généraux se réunissent solennellement à l’hôtel des Menus-Plaisirs, et malgré quelques contestations, notamment sur la tenue vestimentaire, le sentiment de concorde règne. La situation dégénère rapidement avec la proclamation en Assemblée nationale le 17 juin, suivie du serment du jeu de Paume et de la prise de la Bastille le 14 juillet.
La séparation matérielle des oppositions idéologiques entre ceux considérés comme à « droite » et à « gauche » du bureau des secrétaires s’opère progressivement. Parallèlement, les relations entre les députés se renforcent ou se délitent à travers l’établissement d’une multitude de comités, destinés à faciliter la tâche de l’Assemblée, celle de rédiger une nouvelle constitution pour la France. De plus, hors de l’Assemblée, l’opinion publique s’empare des débats, générant une multitude de sociétés et de clubs révolutionnaires. Les opinions fleurissent et certains députés proposent la conciliation des acquis révolutionnaires avec la conservation d’une monarchie forte incarnée Louis XVI. C’est le pari du monarchienisme.
I) Peut-on parler de monarchienisme ? Quels sont ses représentants et ses idées ?
S’il est difficile, selon Robert Griffith, auteur d’un ouvrage central sur les monarchiens intitulé « Le Centre perdu[1]« , paru en 1988, de parler du monarchienisme comme d’un véritable courant disposant d’une doctrine claire, on peut distinguer son évolution et ses caractéristiques. En effet, la doctrine monarchienne émerge par le rapprochement entre certains députés de l’ouverture des États généraux à la formation de l’Assemblée nationale, dont le plus célèbre représentant demeure le député du Tiers État Pierre-Victor Malouet (1740-1814), élu au bailliage de Riom. Figure tutélaire de ce mouvement, il est accompagné par d’autres députés tels Mounier (1758-1806), représentant du Tiers pour le Dauphiné, Lally-Tollendal (1751-1830) et Clermont-Tonnerre (1757-1792), représentants de la noblesse parisienne qui ont joué un rôle central. Malgré tout, il existe entre eux des divisions profondes sur plusieurs questions constitutionnelles abordées par l’Assemblée. Notamment au cours des débats portant sur la nature et le fonctionnement du bicaméralisme, sur le droit de veto qui doit être accordé au roi, et son rôle dans le fonctionnement d’une « monarchie républicaine[2]». Cependant, leurs opinions convergent sur plusieurs points : l’assemblée étant devenue nationale, il est désormais nécessaire selon eux d’effacer les marques du provincialisme des députés, de réduire les divisions et la polarisation des extrêmes afin d’unifier le corps politique. Il faut dorénavant introduire dans le système politique la division des corps législatifs en deux chambres, permettant un bicaméralisme à la française inspiré en réalité du modèle britannique, tout en accordant la possibilité d’un veto illimité pour le roi. En opposition avec l’opinion soutenue par l’abbé Sieyès, célèbre pour son pamphlet intitulé « Qu’est-ce que le Tiers-État ? », qui considère l’Assemblée nationale comme l’émanation de la souveraineté populaire. Le monarchien Malouet soutient l’idée d’un « roi du peuple » incarné par Louis XVI, qui dispose d’une souveraineté partagée avec l’Assemblée nationale. Le roi constitue le garant des intérêts du peuple face à une assemblée composée exclusivement « d’aristocrates ». Le monarchienisme, parfois considéré comme le parti constitutionnel, prône une politique réformiste limitée et unifiée, une politique du « juste milieu » opposée aux factieux et aux contre-révolutionnaires. Malouet le dit autrement : « [Il n’existe pas] d’autre moyen de salut pour un État en convulsion que celui de la modération au milieu de tous les partis extrêmes. »
II) Quelle action politique le monarchienisme a-t-il pu déployer ? Quelle a été son importance au sein de l’Assemblée et de la multitude des clubs ?
Entre mai et septembre 1789 les grandes problématiques constitutionnelles sont discutées et entretiennent l’intensité et la conflictualité des débats à l’Assemblée. L’hétérogénéité sinon l’absence d’unité doctrinale du « groupe monarchien » provoque des fractures multiples. Dès les débuts, Malouet souhaite l’entente avec les représentants de la noblesse et du clergé, tandis que Mounier soutient le vote par tête. Le premier fait partie des rares opposants au serment du jeu de Paume alors que Mounier est parmi les initiateurs de cet acte révolutionnaire. Entre le 20 et le 26 août 1789, le débat porte sur l’introduction en préambule de la constitution d’une déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Certains y sont favorables à condition qu’il soit ajouté une « déclaration des devoirs », tandis que d’autres voient dans la tradition monarchique, l’existence préalable d’une constitution française. Profitant de quelques victoires (comme le retour de Necker au pouvoir) en collaboration avec les patriotes de l’Assemblée, les monarchiens subissent en réalité une suite d’échecs retentissants (bicaméralisme, veto du roi, etc.), malgré une dynamique de structuration autour de clubs. À la suite du soulèvement populaire des journées d’octobre qui ont vu le roi, sa famille et l’Assemblée quitter Versailles pour la capitale et s’installer au palais des Tuileries dans la salle du Manège, les monarchiens se trouvent dispersés. Certains leaders monarchiens comme Mounier et Lally-Tollendal ont fait défection, mais Malouet et Clermont-Tonnerre établissent au couvent des Grands-Augustins le club dit des Impartiaux, actif de janvier à mai 1790. Il y est défini plusieurs maximes : par exemple la 8ᵉ souhaite la reconnaissance du catholicisme comme religion d’État et la garantie de la liberté religieuse, et la 13ᵉ qui reconnaît au roi le rôle de chef des armées. Néanmoins, ce club fermera sous le poids des pressions politiques provenant aussi bien des Jacobins que de la droite conservatrice et aristocratique, son « culte de l’impartialité[3]» ne suffisait plus. Au mois d’août 1790, rejoint à nouveau par Mounier, le club monarchique ou « Malouetiste » voit le jour et les premières réunions sont tenues de manière totalement transparente au cours du mois de novembre 1790. S’inscrivant dans la droite lignée du club des Impartiaux, il est opposé à la contre-révolution et soutient un renforcement du pouvoir royal. L’abondance des critiques dans les pamphlets comme dans les journaux démontre la crainte provoquée par ce « parti politique », mais elles ont de nouveau raison de sa survie.
III) Quelles ont été les limites du monarchienisme ? Comment analyser son effondrement et son influence ultérieure ?
Au cours des années 1790 et 1791, les monarchiens subsistent et obtiennent d’autres victoires politiques essentielles. Retenons notamment l’instauration du marc d’argent, établissant l’élection par le critère censitaire. Mais les contradictions internes et les attaques extérieures ont accablé l’efficacité politique de ce « mouvement » qui cherchait à concilier les acquis révolutionnaires avec la défense d’une autorité monarchique forte. Comment pouvait-on concilier l’idéal d’unité du corps politique tout en fondant deux clubs successifs, participant à la polarisation de l’Assemblée nationale ? Par ailleurs, comme le relève Robert Griffith, les attaques portées à ces deux clubs ont amplifiés les failles du monarchienisme et sa fragilité dans le camp politique, favorisant les victoires successives de la gauche. Elle était par exemple jugée semblable à la politique ministérielle antinobiliaire menée dans les années 1780. Le monarchienisme était aussi attaqué de manière répétée par la droite conservatrice et aristocratique car en nette opposition avec la contre-révolution, comme le signale Malouet qui condamne une réunion de nobles lyonnais : « Une lettre de cette ville nous donne comme certains qu’il y eut un complot, et rien ne le démontrerait mieux que l’arrivée subite d’un grand nombre de gentilshommes, soit de l’Auvergne, soit du Forez et des provinces voisines… » On doit regarder comme ennemi de la patrie tous ceux qui veulent une contre-révolution. » Assommé d’attaques et de contradictions, l’identité du monarchienisme semble difficile à définir comme un véritable courant politique. Dans le Centre perdu, une hypothèse intéressante y est développée ; le monarchienisme est plus proche du « mythe » et la réalité de celle d’une « combinaison de coteries articulées autour [de certains] personnages ». Plutôt qu’un mouvement, il s’agirait d’une étiquette, sinon d’un qualificatif attribué à des individus plus ou moins proches des idées monarchiennes (terme né à l’automne 1791 chez les opposants). En revanche, il ne faut pas mésestimer le rôle qu’il a pu jouer comme figure d’opposition, comme l’affirme l’abbé de Fontenay : « Le serpent qui ne fait que ramper et se glisser sous l’herbe est plus formidable que le tigre et le lion. »
Conclusion :
Entre septembre 1791 et août 1792, le monarchienisme ne semble plus être que le spectre de lui-même dans l’Assemblée nationale. Le contexte révolutionnaire était bouleversé. La mort de Mirabeau le 2 avril 1791 fait dire à Malouet au cours de la séance du 19 avril « Là voilà donc accomplie, cette prophétie de Mirabeau expirant ; son convoi funèbre sera, disait-il, celui de la monarchie. » Mais le plus grand coup porté à la cause monarchienne a été la fuite du roi, arrêté à Varennes entre le 20 et le 21 juin 1791 et son incarcération à la prison du Temple avec sa famille. Certes, la constitution est votée le 3 septembre 1791 par des constituants désormais bloqués par l’inéligibilité, mais ayant consacré trois ans de leur vie à ce travail titanesque. Après le 10 août 1792, jour de la proclamation de la République française, elle est suspendue. « Née de la Révolution, la première constitution de notre histoire a été emportée par la révolution[4]», conclut François Furet.
On peut considérer que l’orléanisme qui est éminemment un courant de pensée monarchique cherche à intégrer nombres d’acquis de la Révolution. Il est important de garder à l’esprit que Louis-Philippe devenu roi en 1830 est présent à Valmy en 1792. Il est lui-même fils de Philippe l’Egalité et s’inscrit une fois roi dans une forme de monarchienisme.
A.V.D.A.D
Notes et références
- Griffiths Robert Howell, Le Centre perdu. Malouet et les « monarchiens » dans la Révolution française, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1988, 277 p. ↑
- Furet François et Halévi Ran, La Monarchie républicaine : La Constitution de 1791, Paris, Éditions Fayard, 1996. ↑
- Cette expression ironique nous vient de l’écrivain Louis-Sébastien Mercier, auteur de L’An 2440. ↑
- François Furet et Ran Halévi, La Monarchie républicaine. La Constitution de 1791, Paris, Fayard, 1996. ↑