États et nationalités de la sélection algérienne de football depuis 1996

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Le 7 mai 2023, le président par intérim de la Fédération algérienne de football (FAF), Djahid Abdelwahab Zefizef, utilise le terme d’« étrangers » pour faire « référence aux joueurs algériens binationaux formés à l’étranger, notamment en France », ce qui a évidemment déclenché de vives réactions dans le pays[1]. Cette « sortie médiatique » relève pourtant un problème bel et bien structurel au sein du football d’Algérie. Les joueurs du « cru », comprendre ceux formés en Algérie et cherchant à avoir un destin au sein de la sélection nationale algérienne, subissent une concurrence jugée, par certains, déloyale de la part d’autres joueurs formés à l’étranger, tout particulièrement en France et évoluant dans les championnats européens. Les « étrangers » désignés par le président de la Fédération sont, pour la plupart, des joueurs nés en France, possédant la nationalité française, ayant été entraînés dans un centre de formation français, et évoluant désormais dans un championnat européen. Certains ont même fréquenté les sélections de jeunes en équipe de France, comme les espoirs, les – de 16, de 17, de 18 ou de 19 ans[2]. En France, bien que le sujet soit moins brûlant, il revient périodiquement sur le devant de la scène comme en témoigne le journaliste du Figaro Romain Schneider qui osait, dès 2014, questionner le recrutement de la sélection algérienne, par cette question un brin provocatrice : L’Algérie une équipe de France bis ?[3]. En 2019, dans le contexte de la finale de la Coupe d’Afrique des Nations, un autre journaliste du Parisien, cette fois-ci, affirme carrément que l’équipe d’Algérie est Made in France[4]. Comment l’équipe nationale algérienne, fierté du peuple algérien, en est-elle arrivée là ?

 

Une brève comparaison des sélections algériennes pour les Coupes d’Afrique des nations, éditions 1996 et 2004

La CAN 1996 voit s’aligner pour la première fois une sélection algérienne dont l’intégralité des joueurs sont nés après l’indépendance du pays, en 1962. Durant cette compétition, sur les 22 sélectionnés, 19 d’entre eux évoluent dans des équipes du championnat algérien. Seuls les deux milieux de terrain, Moussa Saïb et Abdelhafid Tasfaout, jouent à l’étranger, tous deux à l’AJ Auxerre en France, accompagnés d’un attaquant, Kamel Kaci-Saïd qui évolue au Zamalek SC en Égypte.

Lors de l’édition 2004, soit 8 ans plus tard, les origines nationales de la sélection algérienne ont déjà fortement évolué. En effet, sur le banc des trois gardiens, Hichem Mezaïr et Lounès Gaouaoui sont des joueurs nés en Algérie, ayant été formé au pays et jouant dans le championnat local. Mais Mohamed Benhamou est de nationalité française, né en France, et a effectué la majeure partie de sa carrière dans l’Hexagone.

Au sein de la défense algérienne, deux joueurs, Samir Beloufa et Anthar Yahia, sont de nationalité française et sont nés en France. Ils sont aussi les deux seuls sur les sept défenseurs sélectionnés à ne pas jouer dans une équipe locale, mais respectivement en Belgique et en France.

Ce phénomène est encore plus présent au sein des milieux de terrain. Cette année-là, seuls Nasredine Kraouche, Hocine Achiou et Fodil Hadjadj sont nés en Algérie. Les quatres autres, dont le capitaine Djamel Belmadi, sont nés en France, et seuls les deux premiers jouent en 2004 dans un club algérien, les autres étant présents dans des clubs européens, et pour l’écrasante majorité dans le championnat français.

Pour les quatre attaquants, seul Farès Fellahi est né en Algérie et joue dans un club au Maghreb, tout comme Mansour Boutabout, qui lui est cependant né en France.

En résumé, sur les vingt-trois joueurs sélectionnés pour la CAN 2004, seuls onze joueurs de l’équipe sont nés en Algérie et neuf évoluent dans une équipe algérienne.

La tournant de la sélection algérienne lors de la Coupe du monde 2010

En 2010, l’un des trois gardiens, Raïs M’Bolhi possède la particularité d’être à la fois né en France (et d’en avoir la nationalité) et d’avoir la citoyenneté de la République Démocratique du Congo. Nous verrons par la suite que ce profil atypique (bi voire trinational) devient progressivement la norme à partir de la sélection de 2010. Durant le mondial, les deux autres gardiens sélectionnés sont toujours Hichem Mezaïr et Lounès Gaouaoui.

Sur la ligne des défenseurs algériens sélectionnés pour la compétition de 2010, trois sont nés en Algérie : Rafik Halliche, Abdelkader Laïfaoui et Djamel Mesbah, même si ce dernier dispose de la nationalité française. Anthar Yahia, Habib Bellaïd, Carl Medjani et Nadir Belhadj ont joué en équipe de France espoirs ou en – de 16, de 17, de 18 ou de 19 ans.

Concernant les sept milieux de terrains sélectionnés, aucun n’est né en Algérie, et deux d’entre eux, Hassan Yebda et Djamel Abdoun, ont joué en équipe de France espoirs ou en – de 16, de 17, de 18 ou de 19 ans. Seuls Adlène Guedioura et Yazid Mansouri finissent par jouer dans une équipe du championnat algérien au cours de leur carrière.

Pour les cinq attaquants sélectionnés, seul Rafik Saïfi est né en Algérie. Nous remarquons lors de ce millésime 2010, une diversité de championnats représentés au sein de ce poste, à savoir les championnats français, italien et allemand.

Au total, sur les vingt-trois joueurs sélectionnés, dix-sept sont nés en France et seulement trois évoluent dans le championnat algérien en 2010.

La tendance se confirme pour la sélection algérienne lors de la Coupe du monde 2014

Sur les trois gardiens de la sélection de 2014, Cédric Si Mohammed, Raïs M’Bolhi et Mohamed Zemmamouche, les deux premiers sont nés en France et ont été formé dans des centres de formation français. Raïs M’Bolhi étant le gardien titulaire de la compétition.

Concernant les défenseurs du mondial 2014, sept sont de nationalité française et sont nés en France, dont Madjid Bougherra, Faouzi Ghoulam, Carl Medjani, Liassine Cadamuro, Aïssa Mandi et Mehdi Mostefa. De surcroît, Faouzi Ghoulam a même connu la sélection des espoirs de l’équipe de France.

En dehors des gardiens de but, plus aucun joueur de la sélection de 2014 ne joue dans une équipe du championnat algérien au moment de la compétition ! Seul Abdelmoumene Djabou évolue dans un club du Maghreb, à savoir le Club africain basé à Tunis, où il évolue de 2012 à 2016.

Dans la sélection de 2014, s’opère une diversification des trajectoires de recrutement au sein des clubs, puisqu’aucun joueur n’évolue dans le même club. Dans le détail, quatre évoluent en Espagne, trois en France, trois au Portugal et trois en Angleterre, soit un total de 13 joueurs dans les championnats européens.

Concernant les huit milieux de terrain, aucun d’entre eux n’évolue, cette année, dans une équipe du championnat de France, mais Hassan Yebda, Medhi Lacen, Sofiane Feghouli, Yacine Brahimi, Nabil Bentaleb, Riyad Mahrez de même que Saphir Taïder sont nés en France et ont été formés en France. Les milieux de terrain de cette sélection 2014 deviennent majoritairement franciliens.Nous pouvons citer Hassan Yebda, Medhi Lacen, Sofiane Feghouli, Yacine Brahimi et Riyad Mahrez.

En outre, huit des joueurs de l’équipe présents à la Coupe du monde de 2014 : Carl Medjani, Nabil Bentaleb, Sofiane Feghouli, Yacine Brahimi, Saphir Taïder, Hassan Yebda, Raïs M’Bolhi et Faouzi Ghoulam ont joué en équipe de France de France espoirs ou en – de 16, de 17, de 18 ou de 19 ans.

Enfin, au sein des trois attaquants de cette sélection, seul Nabil Ghilas est né en France.

La sélection algérienne pour la CAN 2023 : une diversification accrue des parcours sportifs et migratoires

Sur les quatre gardiens de la sélection pour la CAN de 2023, à savoir Moustapha Zeghba, Oussama Benbot, Anthony Mandrea et Raïs M’Bolhi que nous ne présentons plus, les deux derniers sont nés en France, ont été formé dans des centres de formations français et ont évolué dans les équipes de France espoirs ou en – de 16, de 17, de 18 ou de 19 ans. Moustapha Zeghba est le gardien titulaire de la compétition.

Du côté des neufs défenseurs pour cette compétition, cinq ont la nationalité française, dont quatre sont nés en France : Aïssa Mandi, Kévin Van Den Kerkhof, Rayan Aït-Nouri. Yasser Larouci est né en Algérie. Le Roubaisien Ahmed Touba bien que né en France et de nationalité française a d’abord été dans l’équipe des espoirs belges avant de venir en équipe A d’Algérie.
Kévin Van Den Kerkhof justifie, lors d’une entrevue son changement de nom pour Guitoun au sein de la sélection algérienne. Il révèle qu’il lui a été demandé de renoncer au nom de sa mère et de prendre celui de son père algérien à la place, afin de pouvoir obtenir son passeport algérien.

Mohamed Tougaï, Zineddine Belaïd, Youcef Atal et Ramy Bensebaïni sont quant à eux nés en Algérie et ont évolué au sein d’équipes algériennes ou maghrébines à un moment de leur carrière. Les deux derniers n’ont cependant joué que durant leurs trois premières années de carrière professionnelle au Maghreb puis évoluent successivement en Belgique puis en France.

Parmi les sept milieux de terrain des Fennecs, seul Hicham Boudaoui est né en Algérie. Sofiane Feghouli, Houssem Aouar, Farès Chaïbi, Nabil Bentaleb et Ismaël Bennacer sont nés en France. Mis à part Farès Chaïbi, tous ont évolué à un moment ou l’autre de leur carrière dans les équipes de France espoirs ou en – de 16, de 17, de 18 ou de 19 ans. Ramiz Zerrouki est, par contre, né aux Pays-Bas où il a effectué toute sa carrière.

Concernant les six attaquants, deux sont de nationalité française et sont nés en France dont le capitaine de la sélection Riyad Mahrez ainsi qu’Adam Ounas. Les autres joueurs : Youcef Belaïli, Islam Slimani, Mohammed Amoura et Baghdad Bounedjah sont nés en Algérie, mais seul le dernier n’a pasévolué en dehors d’un pays arabo-musulman.

En résumé, sur les vingt-six joueurs sélectionnés, seulement douze Fennecs sont nés en Algérie et cinq évoluent dans une équipe du Maghreb, dont quatre dans des équipes algériennes. Neuf joueurs ont évolué à un moment ou un autre de leur carrière en équipe de France espoirs ou en – de 16 de 17 de 18 ou de 19 ans ou en sélection belge pour le cas d’Ahmed Touba.

L’Algérie ne fait pas exception en matière de football et de formation de ses jeunes espoirs. Ceux-ci sont très tôt, trop tôt mis en concurrence avec les binationaux natifs d’Europe. Disons-le sans ambages, il est quasiment impossible pour un joueur né et formé en Algérie et ayant choisi de demeurer dans le championnat algérien durant toute sa carrière d’être sélectionné durablement dans l’équipe nationale, plus tard. L’arrêt Bosman[5] de décembre 1995, déclarant de manière simplifiée que les joueurs de football sont des travailleurs comme les autres qui doivent bénéficier de la liberté d’installation, dans et en dehors d’Europe. Cet arrêt de la Cour de Justice de l’Union européenne, tout en renforçant les droits des joueurs, a mis en place un système archi concurrentiel en matière de détection, de formations, et de transferts des joueurs aux bénéfices de Grands Clubs européens pouvant dépenser des sommes considérables pour l’acquisition de joueurs, sans restriction de nationalité, mettant à mal les championnat moins riches. De plus des clubs européens même plus modeste ont à leur disposition un vivier de joueurs de très bon niveau même au niveau amateur, des personnels qualifiés, des équipements de qualités et des compétitions plus nombreuses et plus compétitives que les équivalents africains. Pour le cas des sélections nationales en dehors d’Europe, les joueurs « du cru[6] »ne peuvent pas lutter face à des joueurs nés en Europe et formés dans les clubs européens disposant de moyens colossaux. Ajoutons aussi qu’un autre effet est la standardisation du football partout dans le monde par un processus d’assimilation à des pratiques européennes.

 

Notes et références

  1. Zine Haddadi, Équipe d’Algérie : nouvelle polémique sur les joueurs binationaux, https://www.tsa-algerie.com/equipe-dalgeri-nouvelle-polemique-sur-les-joueurs-binationaux/, TSA, 7 Mai 2023.
  2. Laura-Julie Perreault, Une équipe algérienne… française, https://www.lapresse.ca/sports/soccer/201006/23/01-4292653-une-equipe-algerienne-francaise.php, La Presse, 23 juin 2010.
  3. Romain Schneider, https://www.lefigaro.fr/le-scan-sport/buzz/2014/06/16/27002-20140616ARTFIG00310-l-algerie-une-equipe-de-france-bis.php, Le Figaro, 16 juin 2014.
  4. Arnaud Detout, Coupe d’Afrique des nations : une Algérie « made in France », https://www.leparisien.fr/sports/football/coupe-d-afrique-des-nations-une-algerie-made-in-france-18-07-2019-8119287.php, Le Parisien, 18 juillet 2019.
  5. Samir Touzani, L’arrêt Bosman, la décision qui a révolutionné le football européen, https://www.lesechos.fr/industrie-services/services-conseils/laffaire-bosman-la-premiere-decision-qui-a-revolutionne-le-foot-europeen-2123342, 4 octobre 2024
  6. Comprendre ici des joueurs nés, ayant grandi et formés dans leur pays de naissance
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