Verdun ! On ne passe pas ! analyse d’une chanson devenue slogan

Auteur

image_pdfimage_print

L’une des chansons emblématiques de la Grande Guerre demeure encore aujourd’hui Verdun ! On ne passe pas !, écrite en 1916. Sa version définitive est fixée en 1919, la Première Guerre mondiale à peine achevée et s’inscrit dans le registre des chansons patriotiques qui ont fleuri au début du XXème siècle.

La chanson a pour contexte la bataille de Verdun qui voit s’affronter, du 21 février au 18 décembre 1916, les armées françaises et allemandes et qui a causé plus de 300 000 morts. La chanson reprend, dans ses paroles, une partie des propos du général Nivelle, tenus le 23 juin 1916, après la chute du fort de Douaumont : « L’heure est décisive. Vous ne les laisserez pas passer, mes camarades, le pays vous demande encore cet effort suprême. »[1]. La formulation « Vous ne les laisserez pas passer » devenant « on ne passe pas ». Par ailleurs, « l’effort suprême » voulu par le général apparaît aussi dans la chanson, dans le sixième vers du deuxième couplet.

Dans le refrain, on remarque l’utilisation de « Halte là, on ne passe pas » au quatrième vers avec pour réponse « Et vous ne passerez jamais » au sixième vers. La réponse agissant ainsi comme un miroir devenant même amplificateur entre le « on ne passe pas » au présent de l’indicatif et le « vous ne passerez jamais » au futur. L’ensemble est autant une réponse qu’une symétrie entre ces vers. Ce « on ne passe pas » s’adresse à l’envahisseur allemand. Le ton du propos ayant son importance pour éviter que le « on ne passe pas » ne désigne le défenseur.

Concernant le champ lexical animal, l’« aigle noir » désigne ici l’aigle impérial, emblème germanique et symbole du militarisme prussien qui fond sur la France. L’armée ou les soldats de l’Empire allemand sont comparés à des « corbeaux », animal associé volontiers à la charogne, porteur de malheur et lié à la mort, qui « se faufilent Dans les sillons et dans les chemins creux ». Cette dernière métaphore montre la mort qui accompagne l’avancée allemande sur la France. Emblème de la France, « Le coq gaulois » avec l’ajout du verbe « claironne » fait ressortir l’aspect militaire de l’appel aux armes, dans le cinquième vers du premier couplet.

D’autres termes dépréciatifs comme « barbares et laquais » dans le refrain ou « assassins » qui clôturent le dernier couplet et accentuent bien l’idée que les soldats allemands n’en sont pas. Le terme de soldat étant réservé aux troupes françaises victorieuses.

Dans le deuxième couplet « debout les morts » fait référence au propos de l’Adjudant Jacques Péricard qui, à la tête de ses hommes du 95e Régiment d’infanterie, s’exclame « Debout les morts[2] », et qui exhorte ses troupes à tenir la zone de Bois-Brûlé, le 24 mai 1915. Les mots prêtés étant repris dès le titre d’un poème de Roger Garaud, paru en 1919, comme le « suprême effort » lui aussi présent. Ce « Debout les morts » est d’ailleurs, jusqu’à sa dissolution en 1995, la devise du 95e Régiment d’Infanterie. Cependant Jacques Péricard est sous-officier, et ne peut donc pas être l’« officier dans un suprême effort » du sixième vers au troisième couplet. Il se peut donc qu’il y ait une confusion de ce même Adjudant Péricard avec le Colonel Émile Driant. La différence étant que le premier survit à la bataille, tandis que le second est tué à la tête de ses hommes des 56e et 59e bataillons de Chasseurs à Pied, au début de la bataille de Verdun, qui s’est conclu par un ralentissement efficace et décisif de l’armée allemande.

En 1916, la chanson est mise en musique par René Mercier, avec des paroles écrites par Jack Cazol et Eugène Joullot, et chantée en premier lieu par Adolphe Bérard. Cette chanson a la particularité d’être, l’année de sa création et de sa sortie, la chanson la plus chantée et diffusée en France.

Verdun ! On ne passe pas !

Un aigle noir a plané sur la ville

Il a juré d’être victorieux

De tous côtés, les corbeaux se faufilent

Dans les sillons et dans les chemins creux

Mais tout à coup, le coq gaulois claironne

« Cocorico, debout petits soldats »

Le soleil luit, partout le canon tonne

Jeunes héros, voici le grand combat

Refrain

Et Verdun, la victorieuse

Pousse un cri que portent là-bas

Les échos des bords de la Meuse

Halte là, on ne passe pas

Plus de morgue, plus d’arrogance

Fuyez barbares et laquais

C’est ici la porte de France

Et vous ne passerez jamais

Les ennemis s’avancent avec rage

Énorme flot d’un vivant océan

Semant la mort partout sur son passage

Ivres de bruit, de carnage et de sang

Ils vont passer quand, relevant la tête

Un officier dans un suprême effort

Quoique mourant, crie « à la baïonnette

Hardi les gars, debout, debout les morts »

Refrain

Mais nos enfants, dans un élan sublime,

Se sont dressés ; et bientôt l’aigle noir,

La rage au cœur impuissant en son crime,

Vit disparaître son suprême espoir.

Les vils corbeaux devant l’âme française

Tombent sanglants, c’est le dernier combat

Pendant que nous chantons la Marseillaise,

Les assassins fuient devant les soldats.

Refrain

En 1917, une nouvelle chanson, mise en musique par Eugène Dédé, sur des paroles d’André Danerty, mentionne la bataille de Verdun en y associant le titre Ils n’passeront pas !. Elle est interprétée par Marcelly et lie un peu plus la devise On ne passe pas à la bataille de Verdun dans les consciences populaires.

L’armée, dont part la devise refrain de la chanson, se réapproprie dans les années suivant la fin de la Grande Guerre « On ne passe pas ». En effet, un nombre important de régiments français l’utilisent comme devise avec, parfois, des modifications comme le 142e régiment d’infanterie (« Verdun ! On ne passe pas »), le 20e régiment d’infanterie (« On ne passe pas »), ou le 153e régiment d’infanterie (« Partout où se trouve le 15-3, l’ennemi ne passe pas : il recule »). Mais ce sont surtout les régiments de forteresse chargés de la surveillance de la ligne Maginot comme le 28e régiment d’infanterie de forteresse (28e RIF) qui sont le symbole d’une devise malheureuse pour la France en 1940. L’insigne régimentaire du 28e RIF donnera d’ailleurs l’insigne pour toutes les unités de forteresse.

Le 151e régiment d’infanterie, désormais régiment cyber, utilise dans la tradition des régiments de forteresse cette devise.

Ailleurs dans le monde, la Belgique décerne une médaille, à partir de 1934, avec l’inscription « On ne passe pas » pour les vétérans de la Première Guerre mondiale, détenteurs de la Carte du feu. Il est à noter que la chanson patriotique belge, écrite en 1918, et mentionnant un soldat belge sur l’Yser Le soldat belge ponctue ses couplets de « Retirez-vous, vous ne passerez pas ! (bis) Halte-là ! ». Cette chanson est bien une reprise tant sur la musique que la structure d’une chanson française napoléonienne appelée La Sentinelle du Pont Henri IV.

Aussi, dans le cadre du conflit russo-ukrainien, la 155e brigade mécanisée Anne de Kiev de l’armée ukrainienne, formée pour partie en France en 2024, prend comme devise « On ne passe pas » en langue française. Il est vrai que pour une Ukraine soumise à une invasion de la part de son voisin russe, l’imaginaire français concernant la bataille de Verdun trouve un écho particulier[3].

En Espagne, Le « ¡No pasarán! » est prononcée par la députée des Asturies Dolores Ibárruri, surnommée la Pasionaria. Ce slogan des républicains antifascistes reprend cette idée de cette avancée tout à la fois physique et idéologique qu’il faudrait arrêter. Pour l’origine, il pourrait venir d’un poème catalan de 1914 de Apel·les Mestres dans lequel le « No passareu », en catalan dans le texte, est répété de multiples fois. Le texte énonçant aussi « Vous ne passerez pas ! Et si vous passez par là, alors que nous avons tous cessé de vivre, vous ne savez que trop bien à quel prix tombe un peuple honnête et libre ». Celui-ci souhaite mobiliser les Catalans face à l’armée allemande qui déferle à ce moment sur la Belgique neutre[4]. La devise devenue slogan paraît, à ce moment pour les républicains lors de la guerre civile espagnole, similaire à une défense de la République, vue comme un véritable Verdun face à au déferlement des forces franquistes[5]. Cependant dès 1934 Léon Blum proclame son « Le fascisme ne passera pas », dont la filiation avec la bataille de Verdun est plus que probable.

Enfin, John Ronald Reuel Tolkien avec le « You Shall Not Pass » (dont la traduction serait plus volontiers « Vous ne pouvez passer ») iconique du magicien Gandalf face au Balrog dans le Seigneur des anneaux : la communauté de l’anneau[6], montre aussi un « on ne passe pas » ayant valeur de combat autant physique qu’idéologique. Cela prend tout son sens chez un Tolkien, ancien combattant de la Première guerre mondiale, qui connaissait le « On ne passe pas ! » lié à Verdun et à la bataille. Il est à noter que dans la version espagnole du Seigneur des anneaux : la communauté de l’anneau Gandalf barre la route du Balrog au cri de « ¡No pasarán! ».

V.R.L.V.

Notes et références

  1. NIVELLE Robert (X1876), https://www.polytechnique.edu/bibliotheque/actualites/nivelle-robert-x1876, site de Polytechnique.
  2. « Un blessé se levait devant la meute grise, Son front ensanglanté ruisselait d’un sang noir. Mais comme à l’exercice, et sans plus s’émouvoir, Il commençait le feu, puis lançait dans la brise Cet appel formidable : “À moi ! Debout, les morts !”Les mourants, unissant leurs suprêmes efforts, Épiques, répondaient à sa voix frémissante. Et le cri surhumain, par un héros jeté, Avait galvanisé la troupe agonisante. Pour vaincre encore, les morts avaient ressuscité. » Roger GARAUD, 1919, dans « Debout les morts », « Précis de la Grande Guerre », Librairie Hatier, (expressément destiné aux Candidats au Certificat d’Études).
  3. Felicia SIDERIS, « On ne passe pas » : quelle est cette devise française choisie par une brigade ukrainienne ?, https://www.tf1info.fr/international/guerre-ukraine-russie-on-ne-passe-pas-verdun-quelle-est-cette-devise-francaise-choisie-par-une-brigade-ukrainienne-2331442.html, TF1info, 30 octobre 2024.
  4. Hugo Romani, Non, le slogan « No pasarán » ne date pas de la guerre civile espagnole, https://www.caminteresse.fr/histoire/non-le-slogan-no-pasaran-ne-date-pas-de-la-guerre-civile-espagnole-11195911/, Ça M’intéresse, 15 juillet 2024.
  5. Yann Lagarde, « No pasarán », le slogan antifasciste est en fait antérieur à la guerre civile espagnole, https://www.radiofrance.fr/franceculture/no-pasaran-le-slogan-antifasciste-est-en-fait-anterieur-a-la-guerre-civile-espagnole-9696163, France Culture, 9 juillet 2024.
  6. Dans leur version originale en langue anglaise, le tome 1 paraît en 1954 et le tome 2 en 1955
Partagez cet article
0 0 votes
Évaluation de l'article
S’abonner
Notification pour
guest

0 Commentaires
Le plus ancien
Le plus récent Le plus populaire
Commentaires en ligne
Afficher tous les commentaires